Et c'est cet instant que je redoute depuis si longtemps. Cet éclair de lucidité. Cette fugacité frigide, blanche, qui te transperce. Et si ?
Et si je devais le perdre pour toujours ?
Et si c'était déjà fait ?
Comme une envie - juste des fois - d'être moi aussi "l'éternelle éphémère". Toujours sur le départ. Montrer le chemin le matin. Ce n'était que pour un soir.
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi, Dimanche, Lundi... litanie de jours qui s'accompagnerait d'une litanie de prénoms. Ou de visages. A quoi bon retenir les noms. Je m'en fiche. Ne rien donner. Prendre. Je n'existerais que quelques heures. Fugue. Masques. Fulgurances. Celle du moment. Juste un moment. Eternelle éphémère.
Avoir ma garçonnière.
Inverser les rôles.
Eternité d'un soir.
Enlever les restes de celle que l'on était la veille, avec les draps.
Je serais sociologue, ingénieur, professeur, au chômage, désespérée, distante, indépendante, amoureuse. Libérée. Et jamais là.
Je suis une femme. A la vie sentimentale diablement passionnée.
Pourquoi me sens-je alors fondamentalement femme du moment ? Celle qui se glisse entre les sentiments et montre la porte. Que ma vie se résume à un soir. Eternelle éphémère. Je me sens.
Une part de moi voudrait.
Y'a pas mal de choses à déverser. Des grèves à coller au piquet. Des sentiments à arracher. Des trops-plein à déverser. Hé hé. Faut un lieu pour tout ça. Des gens. Des mots.
Ruminer, faire rebondir les idées les unes contre les autres jusqu'à ce qu'elles forment un amas potentiellement identifiable par leur porteur. Et que l'amas sorte. La sortie peut-être plus ou moins heureuse et bienvenue. Diplomatie ? Tact ? Torrent qui crée de force son lit ? Ton faussement enjoué ? Larmes teintées d'épinards ? Humour ignatiusesque ? Immaturité latente ? Journalisme amateur ? Factualisme et autres sériosités ? Oh ! La liste est longue.
Et après, on compte les points. Points de dégâts sur l'interlocuteur. Points d'indifférence. Points de soutien. Points d'insécurité pour le messager. Ou de soulagement.
Et encore plus tard, il y a la digestion des idées. Ce que l'un a dit, ce que l'autre a compris. Ce qui a été analysé et enregistré après recoupements avec sa propre expérience. Cheminement des idées.
Autant dire que la possibilité de se comprendre "réellement" est infime. Même avec soi-même.
Pourquoi chercher sans arrêt le contact avec autrui alors ? Pour avoir l'illusion de ne pas être seul ?
Et en quoi serait-ce si grave d'être seul ? On l'est de toute façon, non ?
Ouais mais ça fait du bien. Façon doudou traîné dans la cour de l'école pour pallier la séparation d'avec sa môman quand tu étais en maternelle.
Sauf que j'ai jamais voulu traîner mon doudou moi. J'voulais pas l'perdre.
Ouais. Bonjour. J'm'appelle Mo', j'ai pas de doudou sous le bras, mais je n'suis pas un cas désespéré !
